La différence
Un enfant autiste peut-il se rendre compte de sa différence et ainsi en souffrir ?
Cette douloureuse question avait été posée sur nos Forums par une étudiante en première année de psychologie
Voici la réponse apportée par Bibi, autiste de haut-niveau de 41 ans :
J’ai dû prendre quelques jours pour bien réfléchir à votre question et même si ma réponse est longue, soyez assurée que j’ai bien tentée de la simplifier mais il m’aurait fallu des dizaines de pages pour vous répondre! Et ma réponse n’est pas une certitude mais d’une simple réflexion.
Mon nom est Bibi, j’ai 41 ans (depuis une semaine!!!) et j’ai été diagnostiquée autiste. Mon niveau de fonctionnement est très élevé même si j’ai droit aux mêmes problèmes que les autres autistes!!
Selon moi, les parents ont raison: tout dépendant du niveau de conscience atteint, les autistes arrivent à voir leur différence et même à en souffrir. C’est pourquoi, au premier coup d’oeil, on identifie les Asperger et les autistes de haut niveau comme étant assez conscients pour s’en rendre compte.
Mais la plus grande souffrance ne m’apparaît pas être LA différence. Le plus difficile à vivre est l’incompréhension des autres, l’incapacité à comprendre correctement la communication, l’incohérence et la peur provoquée par le non sens.
Je me rappelle de l’époque où j’ai souffert beaucoup…je ne comprenais pas mon quotidien, j’avais un malaise inexplicable et j’étais malheureuse. Je ne me demandais pas pourquoi je n’étais pas comme les autres car je ne le réalisais pas…mon questionnement était: pourquoi ça ne marche pas? J’étais devenue épuisée par le quotidien, les contacts avec les autres, et toute la grosse quantité d’énergie que je dépensais continuellement pour m’adapter (presque à chaque minute). J’étais tellement épuisée que j’en étais devenue désintéressée voire même suicidaire.
Je me rappelle aussi de l’étape où je suis devenue consciente que j’étais différente des autres, après plusieurs années de travail intense après avoir su que j’étais autiste. Comme toute personne présentant un handicap quelconque, j’ai dû traverser les étapes de deuil et j’en suis arrivée à l’acceptation de ma condition. Je vois même que j’ai développé des forces que d’autres n’ont pas!!
Mais ma préoccupation première a rarement été d’être comme tout le monde…les autistes doivent parcourir un très long chemin avant de bien saisir qui sont les autres…et notre attirance vers les personnes est différente de la vôtre. Notre façon d’être et de penser ainsi que nos intérêts et nos préoccupations sont différentes puisque nous ne nous construisons pas comme vous.
Il n’en demeure pas moins que nous sommes des êtres humains beaucoup plus présents que nous ne le démontrons de l’extérieur et même si nous n’arrivons pas rapidement à décoder nos émotions, je peux vous assurer qu’elles sont très présentes…
Nous commençons avec deux états: la peur et la « non peur ». Ensuite, si quelqu’un veut bien nous aider à apprendre, nous prenons conscience qu’il existe des émotions. Nous devrons alors apprendre à les repérer de l’intérieur pour apprendre à les décoder. Ce qui est long, c’est que nous ne pouvons pas faire la transposition de situations, alors, on doit réapprendre à identifier l’émotion dans chaque nouveau contexte.
Après avoir atteint un certain niveau, nous arrivons à faire le lien entre l’existence de l’émotion (de manière consciente) et le repérage interne plus aisément dans plusieurs situations.
Une fois qu’on arrive à dire: « Je suis triste » ou « Je suis joyeuse », on devra nous apprendre à chercher le pourquoi parce que nous n’avons pas ce réflexe….et c’est à cette étape, je crois, que nous sommes assez conscients pour réaliser qu’on souffre ou qu’on est heureux.
Une fois que nous arrivons à dire: »Je suis triste parce que… » , nous en sommes à l’étape de réaliser qu’on souffre parce qu’on est différent ou parce que notre quotidien est exigeant. C’est aussi à cette étape qu’on peut réaliser les liens avec d’autres émotions heureuses.
Nous travaillons tellement fort pour arriver à gérer le quotidien que l’idée d’être comme tout le monde semble rester secondaire….ce qui ne l’empêche pas d’apparaître en priorité à certaines périodes de notre vie. Je crois que c’est notre condition, face au quotidien, et non en comparaison avec les autres, qui nous dérange le plus.
Je ne prétends pas détenir la vérité mais je suis partie de mon expérience pour tenter une réponse à une question que je trouve fort pertinente…De plus, j’ai compris que le témoignage d’une personne autiste pouvait peut-être vous rendre service.
J’espère que ma tentative pourra vous éclairer un peu…et peut-être qu’elle ne servira qu’à apporter de l’eau au moulin afin de contribuer à préciser ce qui en est plus exactement. J’espère simplement avoir pu aider un peu…
Sincèrement
Bibi