Glenn Gould
Glenn Gould : excentrique ou autistique ?
Glenn Gould est célèbre pour ses interprétations de la musique pour clavier de Jean- Sébastien Bach. Il a aussi été critiqué pour son comportement d’excentrique délibéré. S. Timothy Maloney, directeur de la Division de la musique de la Bibliothèque nationale, propose une explication du comportement peu conventionnel de Gould; il a partagé quelques conclusions de ses recherches lors du séminaire de décembre de la série SAVOIR FAIRE de la Bibliothèque.
Dans son livre Glenn Gould: The Ecstasy and Tragedy of Genius, le psychiatre américain Peter Oswald suggère qu’une partie du comportement de Gould, apparu à la fin de son enfance et durant son adolescence, ressemblait à la condition appelée syndrome d’Asperger (SA), une variante de l’autisme. Intrigué par cette idée, M. Maloney a examiné la littérature et les archives sur Gould durant les deux dernières années, pour recueillir des anecdotes sur son comportement, durant sa vie adulte en particulier, et déterminer s’il avait les caractéristiques du SA. S’étant d’abord lui-même familiarisé avec les recherches sur le syndrome d’Asperger, M. Maloney a ensuite dressé une liste composite de dix critères à la lumière desquels il a examiné les anecdotes recueillies dans le cadre de ses recherches sur Gould. Il a présenté de nombreux exemples illustrés par des photographies, des descriptions de comportement et des déclarations de parents et connaissances, ainsi que de Gould lui-même, toutes illustrant clairement en quoi le comportement et l’apparence uniques de Gould correspondaient à chacun des points de sa liste.
Voici quelques-uns des symptômes de la maladie et des anecdotes montrant comment Glenn Gould les manifestait.
Certaines personnes souffrant du syndrome d’Asperger démontrent une extrême sensibilité de tous leurs cinq sens, alors que d’autres sont hypersensibles pour certains et hyposensibles pour d’autres. M. Maloney a présenté des preuves anecdotiques claires démontrant que Glenn Gould était hypersensible au toucher, à la vue et à l’ouïe, et hyposensible au goût et à l’odorat.
Ces réactions anormales aux stimuli sensoriels expliqueraient son habitude de trop se vêtir (au point de porter un pardessus, un tricot, une écharpe et un bonnet de laine même durant les jours les plus chauds de l’été), sa préférence pour les jours gris et tristes plutôt que les journées ensoleillées, et sa diète toute en douceur et en fadeur : œufs brouillés, roties, salade et biscuits à l’arrow-root.
Les choix vestimentaires et diététiques de Gould sont aussi des exemples de son obsession pour les routines et rituels immuables, une autre caractéristique manifestée par les autistiques. L’auteur Andy Kazdin a remarqué que « …pour Gould, il y avait une routine pour tout. C’était comme si la répétition constante de certains rituels lui permettait de se sentir en sécurité. » En tournée, un sentiment de déracinement aurait souvent causé l’annulation de concerts causée par des malaises réels ou imaginaires. Même ses choix de musique et de film étaient assujettis à son besoin d’uniformité. Il écoutait des sélections musicales encore et encore pendant des mois, ou regardait un film 40 ou 50 fois. Ses rituels incluaient le trempage de ses bras (dans de l’eau tellement chaude qu’elle laissait sa peau écarlate) avant un spectacle et son refus bien connu d’abandonner la chaise pliante que son père avait adaptée pour son usage, même quand l’usure et les déchirures l’avaient réduite à un cadre (sans siège) grinçant et bancal tenu ensemble par du ruban isolant, des cordes de piano, de la colle et des vis.
Les victimes du SA ont en général beaucoup de difficulté à manifester un comportement socialement acceptable. Dès la petite enfance et durant toute sa vie, Gould eut des difficultés au niveau social. L’école fut une expérience malheureuse; on dit qu’il comptait chaque seconde jusqu’à l’heure du dîner. Il vécut ses premières années comme un solitaire au tempérament violent. Adulte, on retrouve plusieurs exemples de son manque de courtoisie fondamentale (comme téléphoner aux gens au milieu de la nuit), et son manque de sens commun quand il conduisait, gérait son argent ou prenait soin de sa propre santé. Pour ce qui est de sa musique, il était décrit comme inflexible quant à son choix des répertoires et des tempos. Sa fascination pour la technologie et les animaux fournit une autre indication de son SA : les deux étaient des exutoires qui lui permettaient d’éviter l’interaction humaine.
Tout aussi typique des individus souffrant du SA, Gould démontrait des mouvements anormaux : une démarche bizarre, une posture médiocre, de la maladresse, des mouvements stéréotypés répétitifs tels que se bercer, fredonner et battre la mesure au clavier et ailleurs. Monsieur Maloney a suggéré que les gestes de direction d’orchestre de Gould pouvaient être considérés comme l’équivalent du battement des mains chez d’autres victimes de l’autisme. Il croit que puisque ces gestes étaient si omniprésents, ils étaient peut-être une réaction physique incontrôlable à la musique qu’il écoutait constamment dans sa tête. Alors que le SA nuit aux capacités motrices en général, ceux qui en sont affligés peuvent en même temps démontrer des talents moteurs particuliers hautement développés, tels ceux utilisés par le dessin, la peinture et les instruments de musique. M. Maloney a mentionné des commentaires de plusieurs critiques musicaux bien connus illustrant clairement leur stupéfaction devant la technique de Gould au clavier.
L’une des différences majeures entre l’autisme infantile et le syndrome d’Asperger est le moment de leur apparition respective. Contrairement à l’autisme infantile, le SA est souvent peu évident avant l’âge de trois ans. Les anecdotes recueillies suggèrent que la petite enfance de Gould fut normale. Plus tard cependant, on sait qu’il a souffert de plusieurs problèmes de santé chroniques caractéristiques des victimes du SA, tels que des problèmes gastro-intestinaux et des affections des voies respiratoires supérieures.
Le syndrome d’Asperger présente aussi certains avantages pour ses victimes, comme la capacité de traiter simultanément un grand nombre de données et d’en retenir les détails pendant des périodes de temps indéfinies. Beaucoup ont observé que Glenn Gould avait une mémoire musicale photographique, lui permettant de se souvenir de quantités impressionnantes de partitions musicales et de créer à volonté des transcriptions pour piano d’œuvres d’opéras et d’orchestres. Sa mémoire auditive lui donnait le ton juste et sa mémoire kinesthésique lui permettait de revenir à une œuvre musicale des années après sa dernière interprétation, et de la jouer parfaitement. De telles prouesses de mémoire sont caractéristiques des capacités des autistiques.
La masse critique de preuves anecdotiques recueillies par M. Maloney l’ont convaincu que, loin d’être délibérément excentrique et d’alimenter la controverse uniquement pour attirer l’attention ou vendre plus de disques, Glenn Gould a été poussé par l’autisme vers cet étrange comportement et la réclusion qu’il s’était imposée. Il pense que si le syndrome d’Asperger avait été mieux connu durant la vie de Gould, il aurait reçu plus de soutien pour l’aider à en supporter les effets. Si l’autisme de Gould avait été rendu public, les critiques se seraient probablement plus concentrés sur ses interprétations musicales que sur la critique de son maniérisme en public.
M. Maloney a terminé sa causerie en déclarant: « Glenn Gould mérite notre profonde sympathie pour s’être si bien débrouillé, et notre profonde admiration pour avoir développé et mis en œuvre, face à l’incompréhension et à l’opprobre générales, tant de techniques pour s’en sortir sans l’intervention ni le soutien des autres. Indépendamment de ses réalisations professionnelles uniques, ses réalisations personnelles représentent un véritable triomphe de l’esprit. »
Pour en apprendre plus sur Glenn Gould, consultez le Fonds d’archives Glenn Gould sur le site Web de la Bibliothèque Nationale du Canada à l’adresse http://nlc-bnc.ca/glenngould/
sujet de Martin Ruddy, Bibliothèque Nationale du Canada
Publié avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque Nationale du Canada